Le Sans trace: un virus qui vous veut du bien!
Jean-François Thuot - Géo Plein Air - Soumis le 13 Mars 2008
Le nouveau code d’éthique en plein air vise l’impact minimal de l’humain sur la nature. Pour le respecter, on n’a qu’à adopter et à appliquer sept principes tout simples sur le terrain. Et éviter de tomber dans les excès.
Il y a 25 ans, il n’était pas rare de voir un campeur planter des clous dans les arbres pour suspendre de l’équipement. L’endroit où il faisait son feu servait d’incinérateur et de poubelle. Les déchets humains et les feuilles de papier parsemaient les environs. On construisait des structures, des rigoles, des toilettes élaborées. Et en creusant un trou pour ensevelir ses déchets, on était convaincu de faire de son mieux.
Puis, avec les odeurs et la pollution visuelle, on a pris conscience de la dégradation du milieu. Qu’était donc devenu ce fameux dépaysement qu’on recherchait tant?
Aujourd’hui, en pleine nature, on ramasse ses déchets au fur et à mesure. Mais y a-t-il quelque chose à faire pour minimiser l’impact de l’humain sur le milieu? Et quelle est la limite des choses acceptables pour protéger l’environnement sans devenir un ayatollah?
Sans trace et sans reproches
La nouvelle étiquette du plein air, l’Impact minimum ou le Sans trace sont des principes nobles et surtout nécessaires aujourd’hui, si l’on considère le nombre croissant d’usagers en milieu naturel. Même si on en parle depuis quelques années déjà, certains ne peuvent refréner un mouvement de recul devant ces principes souvent jugés draconiens et perçus comme des règlements policiers nuisibles à la liberté en plein air. Pourtant, c’est le contraire qui se produit: le Sans trace inculque le respect du milieu par une meilleure compréhension de l’environnement et peut décupler notre plaisir à y évoluer en toute connaissance de cause.
Le Sans trace n’est ni une religion, ni une secte; c’est un ensemble de principes de réflexion menant à une utilisation du milieu naturel dans une perspective de conservation. Ce processus complexe et évolutif n’est pas une suite de dogmes et de solutions miracles. Avec son jugement personnel, on décide des actions à prendre. Grâce à une meilleure compréhension de l’environnement et à des connaissances du terrain, on fait des choix judicieux et raisonnés pour épargner le plus possible les écosystèmes.
Connaître, adopter et pratiquer les sept principes du Sans trace est une affaire personnelle; à ce jour, aucune «police du Sans trace» ne surveille les amoureux du plein air, et aucune contravention n’est dressée. L’éducation est le seul vrai incitatif. Et le plaisir d’être dans la nature fait le reste. Voyez ces principes comme un jeu et amusez-vous.
Chaque jeu a ses règles qu’il faut d’abord connaître. Afin d’utiliser les sept principes du Sans trace si la situation demande une réflexion plus approfondie, j’ai développé une clé, la JIRP. Ce truc mnémotechnique m’aide à activer mes réflexes Sans trace:
J = jugement I = intelligence à utiliser en tout temps R = respect des animaux et des autres usagers P = protection de l’environnement Cette clé ouvre la serrure analytique et décisionnelle des sept principes, lesquels sont simples et s’appliquent à tout type d’environnement.
1. PRÉVOIR ET PLANIFIER * Renseignez-vous sur la réglementation en vigueur et les particularités de la région que vous souhaitez visiter. * Soyez prêt à faire face aux intempéries, aux risques naturels et aux urgences. * Planifiez votre excursion afin d’éviter les périodes de forte fréquentation. * Déplacez-vous en petit groupe. Divisez un large groupe en petits groupes de quatre à six personnes. * Réduisez l’emballage des provisions afin de minimiser les ordures. * Utilisez cartes et boussole afin de réduire l’utilisation de cairns, drapeaux ou autres marques de peinture.
2. UTILISER LES SURFACES DURABLES Les sentiers et les emplacements de camping déjà aménagés, les dalles, le gravier, l’herbe sèche et la neige sont des surfaces durables. * Protégez les espaces vierges en campant à plus de 70 m des lacs et des rivières. * Un bon site de camping se trouve mais ne se fabrique pas. Altérer un site n’est pas nécessaire.
Dans les zones fréquentées: * Concentrez vos activités sur les sentiers et les emplacements de camping aménagés. * Marchez en file indienne au milieu du sentier, même s’il est boueux ou mouillé. * Veillez à ne pas étendre votre campement. Concentrez votre activité là où la végétation est absente.
Dans les zones intactes: * Dispersez-vous pour éviter de créer de nouveaux emplacements ou sentiers. * Évitez les endroits où l’impact est faible et récent.
3. GÉRER LES DÉCHETS * Remportez ce que vous apportez. Inspectez les lieux de halte et de camping pour ne laisser aucun déchet ni reste de nourriture, que vous ramènerez avec vous. * Enterrez vos excréments dans des trous profonds de 15 à 20 cm, creusés à plus de 70 m de tout campement, sentier ou source d’eau. Masquez chaque trou après l’avoir rebouché. * Remportez le papier hygiénique souillé ainsi que les produits d’hygiène. * Pour la toilette et la vaisselle, transportez l’eau à 70 m de tout ruisseau ou lac et utilisez une quantité minimale de savon biodégradable. Répandez l’eau sale que vous aurez préalablement filtrée.
4. PRÉSERVER L’ENVIRONNEMENT * Ne touchez qu’avec les yeux les objets historiques et culturels. * Laissez les pierres, les plantes et tout autre objet naturel comme vous les avez trouvés. * Évitez de transporter ou d’introduire des espèces indigènes. * Ne bâtissez pas de structures ou de meubles. Ne creusez pas de tranchées.
5. MINIMISER L’IMPACT DES FEUX * Les feux de camp laissent des cicatrices profondes sur le paysage. Utilisez un réchaud à gaz pour faire la cuisine. Sachez apprécier une lanterne à bougie au lieu de faire un feu. * Là où les feux sont autorisés, utilisez les emplacements qui ont déjà servi, des tôles à feu ou un tas de terre pour protéger le sol. * Faites des feux de petite taille en utilisant uniquement du bois mort ramassé au sol et pouvant être brisé à la main. * Éteignez complètement chaque feu, réduisez bois et braises en cendres et dispersez les cendres refroidies.
6. RESPECTER LA VIE SAUVAGE * Observez la faune à distance. Ne suivez pas, n’approchez pas les animaux sauvages. * Ne donnez jamais de nourriture à un animal sauvage. Cela peut être néfaste à sa santé, peut altérer son comportement et l’exposer à un prédateur ou à tout autre danger. * Éloignez votre nourriture en disposant vos rations et vos déchets dans un endroit sûr. * Soyez maître de vos animaux domestiques ou laissez-les à la maison. * Évitez de déranger la faune durant les périodes sensibles de reproduction, de nidification, de croissance des jeunes ou bien pendant l’hiver.
7. RESPECTER LES AUTRES USAGERS * Soyez respectueux des autres visiteurs et de la qualité de leur expérience. * Soyez courtois. Cédez le passage aux autres sur le sentier. * Placez-vous en bordure du sentier pour laisser passer les randonneurs à cheval. * Faites halte et campez loin de tout sentier et des autres usagers. * Laissez dominer les sons de la nature. Parlez doucement et évitez la pollution sonore.
La motivation du changement doit venir du désir de respecter, de comprendre un milieu que l’on apprécie afin d’en profiter pleinement. Pourquoi résister au changement quand il vise à augmenter le plaisir de l’expérience? Voyager proprement, consciemment, silencieusement favorise une expérience pleinement satisfaisante pour soi et pour les autres.
Le Sans trace fait des petits C’est en 1982 que tout commence à la Custer National Forest, située au Wyoming et au Montana. La fréquentation du parc augmente considérablement et les problèmes d’érosion, de dégradation et de multiplication d’emplacements de camping illégaux sont en prolifération. Après consultation, on s’aperçoit que le constat est identique dans tous les autres parcs états-uniens. Que faire? Fermer les parcs, en interdire l’accès ou restreindre la fréquentation? Il faut trouver une solution au plus vite. Pour Tom Halt, un technicien forestier mandaté, mieux vaut informer et conscientiser les usagers; ceux-ci deviendront à coup sûr des protecteurs du milieu. En 1994, le Leave No Trace fait l’unanimité chez les gestionnaires d’espaces naturels.
Au Québec, tout commence officiellement en juin 2003 par un cours de maître instructeur en Sans trace. Aventure Écotourisme Québec (AEQ), le répondant pour le Canada francophone de l’organisme Leave No Trace Center for Outdoor Ethics. Depuis septembre 2004, AEQ a pour mission de préserver et de conserver l’espace naturel québécois par l’éducation et la sensibilisation, dans une perspective de développement viable (et non durable: ce n’est pas le développement qu’on veut durable mais son résultat). AEQ donne de la formation sur le Sans trace en collaboration avec l’organisme états-unien Leave No Trace Center for Outdoor Ethics et l’Appalachian Mountain Club. À ce jour, cette formation a été donnée à 25 maîtres instructeurs, qui forment à leur tour des guides, des animateurs, des responsables de club de plein air, etc., et à quelque 200 instructeurs, des guides travaillant directement avec le public. Un feuillet sur le programme Sans trace devrait être sous presse cet automne et distribué dans le réseau de la Sépaq.
Info sur le programme de formation: (450) 661-2225 ou www.aventure-ecotourisme.qc.ca
* Jean-François Thuot, guide de plein air, est l’un des huit premiers maîtres instructeurs à avoir reçu la formation Sans trace donnée au Québec en 2004, grâce à la collaboration de l’AEQ, de Leave No Trace et de l’Appalachian Mountain
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