Le père de la recherche sur le béluga du Saint-Laurent, le
scientifique Pierre Béland, trouve inconcevable que Pêches et Océans
Canada ait autorisé la compagnie TransCanada à forer le Saint-Laurent,
malgré la présence de bélugas.
Un texte de : Michel-Félix Tremblay
Pierre Béland a été le premier, dans les années 80, à attirer
l'attention sur l'extrême vulnérabilité du béluga du Saint-Laurent, au
moment où il était directeur du Centre de recherche en écologie des
pêches pour Pêches et Océans Canada, à Rimouski. Il a fait le tour du
monde pendant 20 ans pour parler du sort de la petite baleine blanche.
Le béluga est devenu alors le symbole de la santé déclinante des
écosystèmes du Saint-Laurent.
Bien que les travaux préparatoires, comme les levés sismiques et
les forages sous-marins aient été autorisés par Pêches et Océans
Canada, Pierre Béland estime que le ministère fait fi des
recommandations de ses propres scientifiques. En effet, Pêches et Océans
Canada a donné son accord pour ces travaux, estimant que les mesures
d'atténuation proposées par le promoteur limitaient les dommages causés
aux bélugas.
« Je veux voir un avis scientifique sur l'ensemble du projet,
que pensent les scientifiques de Pêches et Océans ? Je me doute un peu
de ce qu'ils pensent. Je suis certain qu'ils sont muselés », soutient
Pierre Béland.
Lors de ces campagnes de forages qui se dérouleront jusqu'à la
fin juin, des observateurs indépendants vont s'assurer qu'il n'y a aucun
béluga dans un périmètre de 300 mètres. Selon Pierre Béland, il s'agit
d'une assurance illusoire.
« Des années d'observation en bateau et en avion en scrutant la
mer m'ont appris que des bélugas peuvent surgir à l'improviste à
quelques encablures sans avertir », fait valoir Pierre Béland.
Qui est Pierre Béland ? - Source: Groupe de recherche et d'éducations sur les mammifères marins
C'est
tout à fait par hasard que Pierre Béland s'est intéressé aux bélugas du
Saint-Laurent. C'était en 1982, il était alors directeur du Centre de
recherche en écologie des pêches pour Pêches et Océans Canada, et il est
allé sur une plage près de Rimouski où un béluga avait été trouvé mort.
Avec son collègue Daniel Martineau, il a commencé un vrai travail de
détective. Ils ont voulu comprendre les causes de la mort des bélugas du
Saint-Laurent et vérifier s'il y avait un lien entre ces morts et la
santé du Saint-Laurent. Les résultats de leurs travaux ont été largement
diffusés dans le monde entier. Le béluga est devenu un symbole de la
faune menacée par les excès de l'industrialisation et leur étude est
devenue une référence internationale dans le domaine.
Son
histoire avec les bélugas du Saint-Laurent a amené M. Béland vers un
questionnement sur l'environnement, l'avenir de l'humanité et notre
responsabilité envers les autres formes de vie. Ces questions, il les
partage maintenant avec le public. M. Béland fait beaucoup de
vulgarisation scientifique: conférences, articles, documentaires. Il a
également publié plusieurs livres, dont un essai et deux romans. Son
livre, « Les bélugas ou l'adieu aux baleines » est un témoignage sur la
fragilité de la vie et nos tentatives pour la protéger.
Site à préserver
Le site de forage de TransCanada ainsi que le lieu où
l'entreprise prévoit aménager une jetée d'au maximum 750 mètres sont
situés tout près de l'endroit considéré par les scientifiques comme la
pouponnière des bélugas. C'est là qu'à partir de juin, les femelles et
leurs veaux se nourrissent et se reposent, profitant d'une zone
relativement à l'abri du trafic maritime, plus dense sur la rive nord
du fleuve.
Cacouna est probablement le pire endroit du fleuve Saint-Laurent
pour aménager un port pétrolier juge Pierre Béland. Il se situe en
plein habitat essentiel du béluga et en plus du bruit généré par les
travaux et par l'augmentation du trafic maritime dans le secteur, se
dresse une nouvelle menace pour l'écosystème fragile de l'estuaire, les
risques de déversements. Le port de TransCanada, qui permettrait
d'exporter le pétrole des sables bitumineux de l'Ouest canadien,
accueillerait entre deux et quatre pétroliers par semaine.
« On connait les risques de déversement, dans une région où les
courants sont très complexes, la situation serait intenable si on avait
un déversement pétrolier. ce serait catastrophique non seulement pour
les bélugas, mais pour toutes les baleines, c'est inimaginable un projet
de ce genre-là », commente Pierre Béland
Pierre Béland reprend ces jours-ci le bâton du pèlerin pour
dénoncer une nouvelle menace au rétablissement du troupeau de bélugas du
Saint-Laurent. Selon le scientifique, le projet de port pétrolier à
Cacouna est une « aberration ». Il demande au gouvernement fédéral
d'assumer ses responsabilités et d'assurer la protection du béluga,
comme la loi l'y oblige.
Même si la protection des espèces menacées soit une juridiction
fédérale, le scientifique prétend que le gouvernement provincial ne peut
s'en laver les mains. Le scientifique demande d'ailleurs à Québec de se
montrer plus ferme dans ce dossier. Selon lui, les nombreuses
manifestations contre ce projet et en faveur de la survie des bélugas
devraient attirer l'attention du nouveau conseil des ministres.