Ils
participent à un concours pour gagner un séjour dans une tente Huttopia
de la SEPAQ. Ça ne leur arrive jamais, mais cette fois-là, ils gagnent.
Ils sont fous comme des balais, ils adorent le camping. Geneviève
appelle au centre de réservations, un soir après souper. On a gagné un
forfait familial, on est deux adultes, quatre enfants. Tut, tut. Une
famille, madame, c'est maximum trois enfants.
On ne peut pas faire d'exceptions, c'est comme ça.
Geneviève se fait dire, au pire, venez sans les enfants, emmenez des
amis. On peut accepter quatre adultes. Et Geneviève de ne pas
comprendre. On a gagné un forfait famille, pourquoi diable on pourrait
venir avec deux amis, mais pas avec nos quatre enfants? Calmez-vous,
madame. C'est que, voyez-vous, nos sites sont en pleine nature. Si vous
êtes six au même endroit, le terrain va enfoncer.
Geneviève a ramassé ses bras qui venaient de tomber.
Elle a eu beau lui répéter que ça n'avait pas de maudit bon sens de
refuser quatre enfants qui ne pèsent même pas 200 livres ensemble mais
qu'on accepterait volontiers deux joueurs de football. Elle aurait pu
lui suggérer, tant qu'à y être, de mettre des balances à l'entrée du
parc, d'indiquer la capacité maximale des sites, comme on fait pour les
ascenseurs. Elle aurait pu l'envoyer promener.
Elle a juste demandé à parler à un superviseur, le préposé lui a promis
qu'on la rappellerait le lendemain. La superviseure qui a rappelé n'a
pas dit : «On s'excuse madame, ça n'a pas de maudit bon sens.» Elle a
dit : «Ça va être correct pour cette fois, on va vous permettre
d'utiliser votre forfait famille avec vos quatre enfants.» La dame a
fait la réservation, Geneviève a dit merci, c'est une fille très polie.
Elle est allée camper avec toute sa tribu, ils ont eu du bon temps. Ils ont tout ramassé avant de partir.
Le terrain n'a pas enfoncé.
L'histoire de Geneviève est peut-être un cas isolé, c'est quand même un
cas de trop. C'est la goutte qui fait déborder le vase trop plein d'un
organisme public qui gère nos forêts comme si c'était un club privé.
Pour mémoire, le Québec a aboli les clubs privés de chasse et de pêche
en 1977 pour démocratiser l'accès à la nature. C'est un beau mot, démocratiser, ça veut dire rendre accessible au plus grand nombre. Pas à celui qui a un plus grand nombre sur son chèque de paye.
Quand la SEPAQ a hérité de la gestion des parcs en 1999, son mandat
était pourtant clair : les entretenir et les rendre accessibles. Deux
ans plus tard, tiens donc, il faut payer pour aller s'y promener. Sur le
site Internet, on explique que c'est pour «le bénéfice des générations
actuelles et futures». Bullshit. On impose «une tarification abordable et avantageuse» au bénéfice de l'équilibre budgétaire.
Cette année, ça coûte 6,50 $ juste pour entrer dans un parc, ça sera
7,50 $ l'année prochaine, 8,50 $ la suivante. En 2015, une petite balade
en couple coûtera presque 20 $, en plus de l'essence pour se rendre. Ça
commence à faire cher pour aller prendre un bol d'air frais dans notre
forêt publique.
Et si jamais l'envie vous prend d'y faire une activité, sortez la carte
de crédit. Le mois passé, j'ai appelé pour louer un kayak double, pour
trois heures. Il faut payer pour le kayak, la navette. «Prenez-vous les
pagaies?» m'a demandé sans rire la fille à l'autre bout du fil. Allons-y
pour les pagaies, ça pourrait servir. C'est 12 $ de plus. «Ça va faire
78 $ en tout, vous voulez réserver?» Je vais rappeler.
En ajoutant les 13 $ pour les droits d'accès, la facture dépassait 90 $ pour quelques heures de kayak. Je n'ai pas rappelé.
Si vous voulez passer la nuit dans un parc, vous devrez peut-être piger
dans vos REER. Pour camper en famille dans une tente, ça va, c'est une
quarantaine de dollars, plus 13 $ pour entrer. Ça ne comprend pas le
bois pour le feu. L'année dernière, mon père s'est payé la totale. Deux
nuits avec sa blonde dans un petit chalet rustique, avec chaloupe et
droits de pêche. Ça lui a coûté 420 $.
Là encore, pour avoir un chalet, vous devez vous y prendre tôt. Si vous
aviez fait vos réservations jusqu'à hier, vous auriez eu droit aux
tarifs de cette année. Wow. Tant pis si vous n'avez pas les dates de vos
vacances pour l'été prochain.
D'ailleurs, si l'idée vous venait d'aller faire du camping dans le Parc
de la Jacques-Cartier, sachez que, pour une tente de quatre à six
personnes, il n'y a plus aucun des 114 sites disponibles pour toutes les
fins de semaine de juillet et d'août 2014. Même chose pour les
roulottes de moins de 25 pieds. Si vous voulez aller ailleurs, je vous
informe qu'environ la moitié des parcs du Québec affichent déjà complet.
Vous me direz que c'est formidable, que l'argent entre dans les coffres
de l'État. Je vous répondrai que tout le monde ne peut pas prévoir sa
vie un an à l'avance, que c'est bien beau d'augmenter les prix tant
qu'il y a du monde prêt à payer ça, mais que ça veut dire qu'il y a des
gens qui devront se contenter de planter leur tente dans leur cour. Ça,
c'est s'ils ont la chance d'avoir une cour.
Sinon, ils n'auront qu'à dormir à la belle étoile sur leur balcon.
Ce n'est pas juste la SEPAQ, remarquez, il paraît que certains campings
n'acceptent pas les roulottes qui ont plus que 10 ans. C'est de la
discrimination envers le brun et l'orange. Plusieurs n'acceptent plus
les tentes depuis belle lurette. Ça jure avec le reste. Et ça fait
pauvre, des tentes.
Tout ce beau monde se dit peut-être que les gens qui ont du fric sont
plus dociles, qu'ils ne font pas de bruit. Mais, malheureusement, le
savoir-vivre, ça ne s'achète pas.