Plein air inc.
Mylène Moisan - Le Soleil - Soumis le 9 Septembre 2013, 23:08
Gilles et Geneviève ont quatre enfants, deux gars, deux filles, entre 7 et 12 ans. Par un beau samedi, ils vont à un rallye familial sur les plaines d'Abraham. On s'entend, avec quatre enfants, c'est fait pour eux.

Ils participent à un concours pour gagner un séjour dans une tente Huttopia de la SEPAQ. Ça ne leur arrive jamais, mais cette fois-là, ils gagnent. Ils sont fous comme des balais, ils adorent le camping. Geneviève appelle au centre de réservations, un soir après souper. On a gagné un forfait familial, on est deux adultes, quatre enfants. Tut, tut. Une famille, madame, c'est maximum trois enfants.

On ne peut pas faire d'exceptions, c'est comme ça.

Geneviève se fait dire, au pire, venez sans les enfants, emmenez des amis. On peut accepter quatre adultes. Et Geneviève de ne pas comprendre. On a gagné un forfait famille, pourquoi diable on pourrait venir avec deux amis, mais pas avec nos quatre enfants? Calmez-vous, madame. C'est que, voyez-vous, nos sites sont en pleine nature. Si vous êtes six au même endroit, le terrain va enfoncer.

Geneviève a ramassé ses bras qui venaient de tomber.

Elle a eu beau lui répéter que ça n'avait pas de maudit bon sens de refuser quatre enfants qui ne pèsent même pas 200 livres ensemble mais qu'on accepterait volontiers deux joueurs de football. Elle aurait pu lui suggérer, tant qu'à y être, de mettre des balances à l'entrée du parc, d'indiquer la capacité maximale des sites, comme on fait pour les ascenseurs. Elle aurait pu l'envoyer promener.

Elle a juste demandé à parler à un superviseur, le préposé lui a promis qu'on la rappellerait le lendemain. La superviseure qui a rappelé n'a pas dit : «On s'excuse madame, ça n'a pas de maudit bon sens.» Elle a dit : «Ça va être correct pour cette fois, on va vous permettre d'utiliser votre forfait famille avec vos quatre enfants.» La dame a fait la réservation, Geneviève a dit merci, c'est une fille très polie.

Elle est allée camper avec toute sa tribu, ils ont eu du bon temps. Ils ont tout ramassé avant de partir.

Le terrain n'a pas enfoncé.

L'histoire de Geneviève est peut-être un cas isolé, c'est quand même un cas de trop. C'est la goutte qui fait déborder le vase trop plein d'un organisme public qui gère nos forêts comme si c'était un club privé. Pour mémoire, le Québec a aboli les clubs privés de chasse et de pêche en 1977 pour démocratiser l'accès à la nature. C'est un beau mot, démocratiser, ça veut dire rendre accessible au plus grand nombre. Pas à celui qui a un plus grand nombre sur son chèque de paye.

Quand la SEPAQ a hérité de la gestion des parcs en 1999, son mandat était pourtant clair : les entretenir et les rendre accessibles. Deux ans plus tard, tiens donc, il faut payer pour aller s'y promener. Sur le site Internet, on explique que c'est pour «le bénéfice des générations actuelles et futures». Bullshit. On impose «une tarification abordable et avantageuse» au bénéfice de l'équilibre budgétaire.

Cette année, ça coûte 6,50 $ juste pour entrer dans un parc, ça sera 7,50 $ l'année prochaine, 8,50 $ la suivante. En 2015, une petite balade en couple coûtera presque 20 $, en plus de l'essence pour se rendre. Ça commence à faire cher pour aller prendre un bol d'air frais dans notre forêt publique.

Et si jamais l'envie vous prend d'y faire une activité, sortez la carte de crédit. Le mois passé, j'ai appelé pour louer un kayak double, pour trois heures. Il faut payer pour le kayak, la navette. «Prenez-vous les pagaies?» m'a demandé sans rire la fille à l'autre bout du fil. Allons-y pour les pagaies, ça pourrait servir. C'est 12 $ de plus. «Ça va faire 78 $ en tout, vous voulez réserver?» Je vais rappeler.

En ajoutant les 13 $ pour les droits d'accès, la facture dépassait 90 $ pour quelques heures de kayak. Je n'ai pas rappelé.

Si vous voulez passer la nuit dans un parc, vous devrez peut-être piger dans vos REER. Pour camper en famille dans une tente, ça va, c'est une quarantaine de dollars, plus 13 $ pour entrer. Ça ne comprend pas le bois pour le feu. L'année dernière, mon père s'est payé la totale. Deux nuits avec sa blonde dans un petit chalet rustique, avec chaloupe et droits de pêche. Ça lui a coûté 420 $.

Là encore, pour avoir un chalet, vous devez vous y prendre tôt. Si vous aviez fait vos réservations jusqu'à hier, vous auriez eu droit aux tarifs de cette année. Wow. Tant pis si vous n'avez pas les dates de vos vacances pour l'été prochain.

D'ailleurs, si l'idée vous venait d'aller faire du camping dans le Parc de la Jacques-Cartier, sachez que, pour une tente de quatre à six personnes, il n'y a plus aucun des 114 sites disponibles pour toutes les fins de semaine de juillet et d'août 2014. Même chose pour les roulottes de moins de 25 pieds. Si vous voulez aller ailleurs, je vous informe qu'environ la moitié des parcs du Québec affichent déjà complet.

Vous me direz que c'est formidable, que l'argent entre dans les coffres de l'État. Je vous répondrai que tout le monde ne peut pas prévoir sa vie un an à l'avance, que c'est bien beau d'augmenter les prix tant qu'il y a du monde prêt à payer ça, mais que ça veut dire qu'il y a des gens qui devront se contenter de planter leur tente dans leur cour. Ça, c'est s'ils ont la chance d'avoir une cour.

Sinon, ils n'auront qu'à dormir à la belle étoile sur leur balcon.

Ce n'est pas juste la SEPAQ, remarquez, il paraît que certains campings n'acceptent pas les roulottes qui ont plus que 10 ans. C'est de la discrimination envers le brun et l'orange. Plusieurs n'acceptent plus les tentes depuis belle lurette. Ça jure avec le reste. Et ça fait pauvre, des tentes.

Tout ce beau monde se dit peut-être que les gens qui ont du fric sont plus dociles, qu'ils ne font pas de bruit. Mais, malheureusement, le savoir-vivre, ça ne s'achète pas.


Source: http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/chroniqueurs/201309/08/01-4687276-plein-air-inc....
Soumis par: Stéphane
Catégorie: Opinion
Lectures: 1996




Lien vers cette nouvelle: http://nouvelles.kayakdemer.net/?fct=vn&no=389

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