Dans
le flot des coupes annoncées par le gouvernement Harper en 2012, celle
de la fin des opérations des centres de Services de communication et de
trafic maritimes (STCM) de Montréal et de Rivière-au-Renard, à la pointe
de la Gaspésie, était passée quasi inaperçue.
Mais pas chez certains usagers du fleuve et les employés touchés, qui
n'hésitent pas à affirmer que des vies humaines seront en danger,
d'autant plus que le Centre de recherche et de sauvetage de Québec
devrait lui aussi mettre la clé sous la porte. «Il y a des gens qui vont
demander de l'aide et qui ne seront pas entendus», soutient Martin
Grégoire, le président du syndicat qui représente les officiers de
communications maritimes de la région centre.
Ces employés, les «OSCTM», écoutent 24 heures sur 24 la fréquence des
radios maritimes et sont les premiers informés lorsqu'une nouvelle
embarcation de plaisance prend le large, connaissent la position exacte
des navires et répondent aux appels de détresse. Ils reçoivent des
milliers d'appels par année, dont 1500 à 2000 qui nécessitent une
intervention de sauvetage.
Le centre de Montréal, qui compte 17 officiers, sera fusionné avec celui
de Québec, où travaillent 21 de ces professionnels. Dans la foulée, six
emplois se perdront. Ils seront désormais 32 communicateurs radio,
plutôt que 38, à superviser une région deux fois plus grande, qui
s'étendra de Cornwall, à l'ouest, jusqu'à Rivière-du-Loup, à l'est.
Le portrait est le même dans l'est de la province. Le centre des
Escoumins, où travaillent 18 officiers radio, prendra le relais des
activités de Rivière-au-Renard, gérées par 13 officiers. L'opération
entraînera l'abolition de sept postes. Les 24 employés postés aux
Escoumins devront gérer, en plus de leur zone, les communications
maritimes pour toute embarcation qui navigue dans le golfe
Saint-Laurent, de Blanc-Sablon au nord aux Îles-de-la-Madeleine au sud,
sans oublier celles qui lèvent l'ancre à partir de l'île d'Anticosti et
la quantité de pêcheurs au large de la Gaspésie.
Des technologies améliorées
Ottawa avait annoncé ces changements il y a un an en expliquant que la
Garde côtière modernisait «avec une technologie de pointe» certains
SCTM. «La consolidation ne changera pas les services», assure la
porte-parole de Pêches et Océans Canada, Nathalie Letendre, qui rappelle
qu'une rationalisation similaire a eu lieu dans les années 90.
Pour l'ancien enquêteur du Bureau de la sécurité des transports du
Canada, Jean Gagnon, il ne fait aucun doute que les avancées dans le
domaine de la radiotéléphonie remettent en question la pertinence de
stations radio et du nombre d'employés qui y travaillent. Il explique
que grâce aux antennes plantées le long du fleuve, toute embarcation
peut communiquer à des milles nautiques de l'endroit où elle se trouve.
D'ailleurs, les deux corporations de pilotes qui sillonnent le
Saint-Laurent ne croient pas que leur travail sera affecté par la
fermeture des centres de Montréal et de Rivière-au-Renard.
Mais Jean Gagnon est préoccupé par la nouvelle charge de travail des
OSTCM, qui demeureront en poste, puisque, dit-il, en période estivale
les ondes pourraient être vite surchargées d'appels. «Il y a aussi les
connaissances locales qui seront perdues», souligne-t-il. Selon nos
informations, très peu de communicateurs radio ont accepté de transférer
de Montréal à Québec et aucun ne quittera Rivière-au-Renard pour Les
Escoumins.
Crainte
«J'ai peur», affirme sans détour un officier du centre de Québec, qui
préfère conserver l'anonymat. «Je n'ai aucune idée à quoi ressemble le
lac des Deux-Montagnes», admet-il, illustrant sa méconnaissance de la
nouvelle région montréalaise qu'il aura à couvrir. Son collègue dans la
métropole, Richard Cartin, confirme que la tâche ne sera pas facile. «Il
y a 180 000 plaisanciers par année dans le secteur», explique le
dirigeant du syndicat local, qui a décidé de prendre sa retraite après
31 ans de service plutôt que de déménager à Québec dans ce contexte.
«Il est reconnu que le Saint-Laurent est une des voies navigables les
plus dangereuses au monde, est-ce qu'on a les moyens de diminuer les
services?» demande le directeur des Amis de la Vallée du Saint-Laurent,
Gaston Dery.
Le maire de Gaspé, François Roussy, le député provincial de Gaspé,
Gaétan Lelièvre, et celui du fédéral de la Gaspésie et des
Îles-de-la-Madeleine, Philip Toon, dénoncent la décision du fédéral, qui
fait mal à leur région, «abandonnée» par Ottawa. «Avec plus d'appels et
moins d'effectifs, on s'enligne vers un désastre», conclut M. Toon.
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L'abc de la communication maritime
Les communications radio ont bien changé depuis Marconi. Grâce à des
antennes spécialisées, les informations circulent désormais en very high frequency (VHF).
Chacun des quatre centres des Services de communication et de trafic
maritimes (Montréal, Québec, Les Escoumins et Rivière-au-Renard) doit
gérer les communications captées par les antennes situées sur son
territoire.
Les officiers qui travaillent dans les centres ont pour principal outil
de travail une console radio et une carte électronique qui leur fournit
de nombreuses informations sur ce qui se passe sur le cours d'eau.
Ils peuvent entrer en communication avec toute embarcation équipée d'une radio maritime.
Les officiers écoutent jour et nuit les ondes pour être à l'affût et
disponibles en cas d'urgence. Ils transigent aussi avec les navires
commerciaux qui doivent rapporter leur position. Les coordonnateurs du
Centre de recherche et de sauvetage de Québec sont rapidement joints par
les officiers lors d'un appel à l'aide si ceux-ci n'ont pas directement
reçu le S.O.S. par téléphone cellulaire.