«Coordination
Centre Trenton Marine controller», répond notre interlocuteur au
téléphone. Le Soleil demande, en français, de l'information sur les
marées à Québec. «Juste un moment, s'il vous plaît.» Bien qu'il s'agisse
d'un centre de répartition des appels d'urgence, il a fallu pas moins
de 31 secondes pour qu'un contrôleur bilingue prenne notre appel. On
nous indique finalement qu'il faut s'adresser au centre de Québec.
Même scénario à Halifax, mais en plus compliqué. Le premier contrôleur
met notre appel en attente pour s'adresser à ses collègues. «Quelqu'un
parle français ici?» Un second employé décroche. Le journaliste pose la
même question sur les marées, mais le contrôleur n'y comprend rien. «La
marée? [...] Excusez-moi, mon français n'est pas très bien», admet
l'homme au bout du fil. Lui aussi s'adresse à ses collègues : «Je ne
comprends pas le mot qu'il demande», dit-il. Deux minutes quinze
secondes se sont écoulées depuis le début de l'appel. Un troisième
contrôleur, qui parle bien français, arrive en renfort. Il souligne
poliment qu'il s'agit d'un centre d'appels d'urgence et qu'il vaudrait
mieux faire nos recherches sur Internet...
Le Soleil a tout de même demandé si le centre de Halifax pouvait
récupérer la clientèle francophone du Québec. «C'est un gros changement,
dit-il, on n'a pas d'autres nouvelles.» Déjà, quelques contrôleurs
peuvent s'exprimer en français, «mais ça va tout changer, évidemment»,
nous assure-t-on.
Compressions budgétaires
La fermeture des centres de Québec et de St. John's fait partie d'une
série de compressions budgétaires annoncées dans le plus récent budget
fédéral. Selon le ministre Ashfield, les nouvelles technologies
permettent de fusionner les centres d'appels sans compromettre la
sécurité sur le fleuve.
Cette décision, «on la déplore», indique André Huot, président de la
Fédération de voile du Québec, «mais on ne va pas déchirer notre linge».
Il précise que les marins en détresse, à Québec, pourront toujours
contacter les garde-côtes locaux par les ondes radio. Ces derniers
feront le relais avec Halifax ou Trenton si une intervention est
nécessaire. Il admet toutefois que les garde-côtes devront redoubler
d'efforts pour expliquer la situation aux contrôleurs postés des
centaines de kilomètres plus loin. «L'employé de la garde côtière [...]
va devoir simplifier et expliquer les choses de la vie pour la personne à
l'autre bout», illustre le passionné de voile.
Au bassin Louise, peu de plaisanciers étaient au courant de la décision,
hier. Ceux qui en avaient entendu parler déploraient le manque
d'information. «C'est sûr que si j'appelle, dans une situation de
détresse, pis que ça répond à Halifax, je vois rien de bon là», tranche
Claude Soucy sur son 27 pieds. «Quand tu parles à des gens comme aux
Escoumins, ou à Québec, c'est des gens de la place, ils connaissent très
bien le fleuve. Mais si j'appelle à Halifax... Premièrement, ce
monde-là, ils vont nous répondre en anglais, on n'est pas naïfs.»
Sur le forum Voile abordable, plusieurs plaisanciers s'inquiètent
également. «Personnellement, je trouve ça désolant et très inquiétant,
déplore un des membres. Une grande perte pour la plaisance au Québec. La
qualité des services va en souffrir grandement. Quand on connaît le
piètre résultat de la politique du bilinguisme canadien, vaut mieux ne
pas faire naufrage.»
Moins précis
Rappelons qu'en 2008, le Commissaire aux langues officielles avait
critiqué la Garde côtière canadienne à la suite du naufrage de l'Acadien
II, qui avait coûté la vie à quatre Madelinots. Bien que les échanges
entre les marins et les garde-côtes de Sydney, en Nouvelle-Écosse, se
soient déroulés en français, il est ressorti de l'enquête que les
conversations en français étaient généralement moins précises que celles
en anglais.
À Québec, la Garde côtière redirige les demandes d'information dans ce
dossier au ministère des Pêches et des Océans à Ottawa. Dans un bref
courriel qui omettait les questions du Soleil sur la langue, la
porte-parole Mélanie Carkner souligne que la fusion ne se traduira par
«aucune diminution de l'excellent service» offert pas la Garde côtière.
Mme Carkner rappelle également que les bateaux et les hélicoptères
resteront là où ils sont basés actuellement. Elle ajoute que «la Garde
côtière canadienne veillera à ce que toutes les stratégies appropriées,
comme celles ayant trait au recrutement et à la formation, soient en
place pour s'assurer que les importantes connaissances locales soient
préservées. Dans la mesure du possible, les employés touchés se
verront offrir un déploiement ou une relocalisation».