«Le
temps est fou dans cette île!», m'avoue la première personne rencontrée
en débarquant du traversier. En effet, on ne voit pas à 100 m devant
soi et la corne de brume a rythmé les 90 minutes de navigation entre
Blacks Harbour et le port de North Head. Les falaises censées nous
accueillir sont invisibles, mais le ciel est dégagé à l'autre extrémité
de l'île, 20 km plus au sud, m'informe le jeune homme.
Le brouillard de la baie de Fundy est presque aussi célèbre que ses
marées vertigineuses. Si ce phénomène météorologique ennuie parfois les
touristes, il inspire les insulaires. Dans sa voiture devant les marais
de Castalia, Beverly Cary observe la brume longuement pour en reproduire
les nuances sur ses toiles. Pêcheur de homard à la retraite, Beverly a
rarement quitté Grand Manan. Il s'est mis à la peinture à 75 ans et il
s'étonne encore que ses oeuvres exposées à la Grand Manan Art Gallery
trouvent preneur. Entre les falaises, les plages sauvages, les ports de
pêche et les villages pittoresques, les paysages poétiques ne manquent
pas. Mais l'homme puise aussi dans ses souvenirs pour raconter avec ses
pinceaux l'histoire de son île.
Algue unique
Bien que Grand Manan soit maintenant plus développée que dans les années
40, l'île vit toujours grâce à la mer. Autrefois, la pêche au hareng
(fumé sur place) faisait vivre la communauté. Aujourd'hui, le homard et
le saumon d'élevage assurent la majeure partie des revenus des 2500
habitants.
Il faut aller sur la côte ouest de l'île, à Dark Harbour, un hameau
composé de modestes maisons de pêcheurs posées le long de la plage, pour
découvrir un autre produit qui fait la fierté de Grand Manan: la dulse.
Une algue comestible au savoureux goût iodé dont on trouve ici la
meilleure variété au monde. À bord de simples barques, les «dulsers»
profitent de la marée basse pour s'approcher des rochers aux pieds des
falaises et récolter à la main cet autre produit de la mer. Ces algues
seront ensuite séchées au soleil pendant une journée, puis emballées.
Elles agrémentent salades, chaudrées, et plats de poisson, mais sont
aussi délicieuses grignotées à l'apéritif.
Un goût de paradis
Depuis la visite en 1833 du célèbre peintre naturaliste Jean-Jacques
Audubon, Grand Manan est synonyme de paradis pour les ornithologues.
L'île est située le long d'un important couloir migratoire et 360
espèces d'oiseaux ont été répertoriées dans ses parages. Parmi
celles-ci, le grand héron, l'aigrette bleue, l'ibis falcinelle ou encore
le pygargue à tête blanche. Ils font partie des 250 espèces qui
fréquentent les lieux chaque année.
Les amateurs les plus férus ne manquent pas de se rendre à Machias Seal,
une petite île faisant partie de l'archipel de Grand Manan. Cette
réserve naturelle protégée accueille les visiteurs au compte-gouttes.
Ils ont ici une occasion rare d'approcher des petits pingouins et des
macareux moines sur leur lieu de nidification.
Délicieux plancton
Selon une légende du peuple micmac, une baleine géante aurait engendré
le mouvement des marées de la baie de Fundy d'un extraordinaire coup de
queue. Même s'il existe d'autres explications moins poétiques à ce
phénomène, le flux des eaux est bien à l'origine de l'abondance du
plancton qui attire les cétacés.
Nombreux sont les rorquals communs, les baleines franches et les
baleines à bosse qui visitent la région durant les mois d'été. Avec de
la chance, on peut les observer depuis le rivage (à Swallowtail entre
autres), mais il est préférable d'embarquer pour une croisière pour les
voir de plus près.
Le rythme de l'île
La vie semble toujours tourner au ralenti dans les îles. Grand Manan ne
fait pas exception à la règle. On ne vient pas ici pour la vie nocturne
(inexistante), mais pour profiter d'un endroit où les résidents ne
ressentent pas le besoin de fermer leur porte à clef. Ainsi, la marche,
le vélo et le kayak de mer sont des moyens de prédilection pour partir à
la découverte de Grand Manan. Les 70 km de sentiers (deux fois plus que
les routes asphaltées!) sillonnent les prés en fleurs, les plages
désertes et les falaises escarpées. Des balades ponctuées de phares
photogéniques et villages historiques, comme Seal Cove et ses vieilles
bâtisses en bois perchées sur pilotis. Des trésors discrets à l'image de
cette île non formatée pour les touristes.
Et s'il y a du brouillard, me direz-vous? Raison de plus pour vous
mettre au diapason de l'île et d'adopter son rythme. Patientez et vous
serez récompensé: la brume finit toujours par se dissiper.
Repères
> Transport : depuis Blacks Harbour (situé à une heure de route au
sud de Saint John, Nouveau-Brunswick), les traversiers de Coastal
Transport (www.coastaltransport.ca) assurent jusqu'à 7 liaisons quotidiennes en saison. Le trajet est de 1h30.
> Hébergement : plusieurs gîtes, B&B et campings accueillent les
visiteurs, mais ceux qui désirent séjourner au moins une semaine
(fortement conseillé) profiteront des multiples options de location de
maison. Mieux vaut réserver à l'avance en saison. Adresses et
recommandations sur le site Internet de l'office de tourisme (www.grandmanannb.com).
>Observation des baleines : Whale-n-Sails (www.whales-n-sails.com)
combine l'avantage d'une croisière en voilier et la présence à bord
d'une biologiste qui connaît les baleines de la baie par leur petit nom,
tout en étant la directrice de la Grand Manan Whale & Seabird
Research Station (www.gmwsrs.info).
>Observation des oiseaux : pour dénicher les meilleurs endroits sur
l'île, adressez-vous à un guide local : Wayne Sturgeon (506-467-1171).
La compagnie Seawatch Tours (www.seawatchtours.com) est la seule accréditée pour aborder l'île Macchias Seal.
>Galerie d'art: la Grand Manan Art Gallery (présente sur Facebook) expose les artistes de la région.
>Dulse : on peut assister au séchage de la dulse et s'en procurer chez Roland's Sea Vegetables (www.rolandsdulse.com).