La popularité du kayak de mer ne se dément pas avec le temps. Les nombreux adeptes, après avoir exploré le fjord du Saguenay et le fleuve Saint-Laurent, restent à l'affût de nouvelles destinations. Les grandes rivières du Québec nous offrent quelques découvertes extraordinaires à ce chapitre.Le nom Péribonka tient de la légende depuis que Louis Hémon l'a immortalisé dans son roman Maria Chapdelaine, au milieu des années 10. Le village de Péribonka, au Lac-Saint-Jean, se trouve en réalité aux abords de l'estuaire de la rivière du même nom, le plus important affluent du Piékouagami. Méconnue et impossible à fréquenter jusqu'en 1996 à cause du flottage du bois, la Péribonka se dessine sur un vaste bassin versant, au nord-est du lac Saint-Jean, et s'étire sur 547 km, au départ des monts Otish, au-delà du 52e parallèle.
Les kayakistes y sont loin de la mer. Pas d'eau salée. Pas de marée. Pas de contre-courants. Pas de baleines non plus. Rien qu'un courant descendant qui nous mène à vive allure vers notre point d'arrivée, cinq jours plus bas, le grandiose lac Tchitogama.
En kayakLa Péribonka se présente comme le meilleur des mondes pour les kayakistes. En effet, l'achèvement récent du barrage Péribonka (km 152) a obligé le prolongement du chemin des Passes jusqu'au pied du barrage, où une rampe de mise à l'eau a été aménagée. Voilà qui permet de descendre la rivière sur près de 90 km, jusqu'au lac Tchitogama, dans la municipalité de Lamarche, alors que, auparavant, on faisait plutôt l'aller-retour à partir du grand lac.
D'autre part, la présence de plages, de bancs et de pointes de sable ainsi que de rives accueillantes assure un potentiel exceptionnel de campements pratiques. Il s'agit conséquemment d'un choix irrésistible que font de plus en plus de kayakistes.
À moins de faire partie d'un groupe organisé par un pourvoyeur et doté d'un guide professionnel, partir cinq ou six jours en excursion exige la sélection judicieuse d'un groupe de kayakistes aguerris, expérimentés et qui partagent suffisamment d'atomes crochus pour que le voyage se déroule en toute camaraderie. Ce qui est moins évident qu'il ne semble. À la suite d'une rencontre préalable, les responsabilités de chacun sont établies quant à la fourniture des équipements utilisés en commun (poêle, chaudrons, bâche, équipements de communication et de premiers soins...) et ceux que tout le monde doit apporter (tente, duvet, matelas, vêtements, vaisselle, vin...)
Quant à la nourriture, élément central de toute excursion qui se respecte, dans notre groupe de six personnes, quatre auront la responsabilité complète d'un souper alors que deux se partageront les petits-déjeuners. Chacun apporte ses lunchs. Il est de mise de s'approcher le plus possible de la gastronomie, avec les moyens du bord, et de tenter d'étonner tout l'équipage.
Au départAprès deux heures de route sur le chemin des Passes, un chemin forestier large et bien entretenu, notre convoi atteint l'impressionnant barrage Péribonka et la rampe de mise à l'eau. La splendeur du paysage qui se révèle alors annonce déjà l'émerveillement que nous réservent les prochains jours.
Nous ne parcourrons qu'une douzaine de kilomètres en cet après-midi, passant au large de la jetée Jean-Guy, le premier campement identifié. Nous nous rendrons plutôt sur la pointe sablonneuse en amont de l'île à Perdrix, un site rendu féerique par la vapeur qui lèche les montagnes et la plage après la pluie. L'eau s'avère un peu fraîche pour la baignade, mais on s'y fera. Nous observerons aussi les premiers hors-bord et à cela aussi il faudra se faire puisque la Péribonka, sans encore compromettre sa tranquillité, est de plus en plus fréquentée par les plaisanciers, les pêcheurs et les pontons.
Sous le soleilC'est à regret que nous levons les voiles le lendemain, quittant la plage extraordinaire après un petit-déjeuner gourmand de gaufres belges aux bleuets frais. Soleil, chaleur et vent sont au rendez-vous sur un parcours où les bourrasques n'arriveront pas à nous ralentir.
Une première cascade dévalant avec fracas la falaise, la chute de la rivière du Sault, retient notre attention et chacun veut l'approcher pour l'admirer et en goûter la bruine. Puis nous traversons vers la rive est pour explorer la rivière du Canal Sec, un petit cours d'eau sinueux au fond arénacé, que nous remontons sur un km avant de revenir manger à son embouchure. À cette hauteur, la Péribonka est remarquable par la présence de nombreuses îles qu'on côtoie au fil d'étroits corridors tout en s'abritant du vent. On observe aussi des falaises vertigineuses sur sa rive ouest. À plus de 500 mètres de hauteur, elles surpassent les caps les plus élevés du fjord du Saguenay.
C'est à mon tour de préparer le souper. Au menu principal, un sauté de crevettes à la thaï bien épicé, sur un lit de riz basmati et une sauce au lait de coco. Au dessert, le traditionnel et très cochon gâteau breton kouign amann. Une carte à la hauteur des autres repas gargantuesques qui couronnent toutes nos journées de pagaie.
Le troisième jour doit être le plus consistant du voyage avec environ 22 km au programme et un fort vent de face. Encore une fois, le paysage évolue continuellement et la rivière s'élargit comme un fleuve (1,5 km) entre des murailles monumentales. Nous campons à l'embouchure de la rivière Cormoran, un petit cours d'eau discret qui présente deux pointes blondes bucoliques. Nous y savourons un délicieux couscous sous les étoiles avant d'allumer le feu de camp et de nous endormir bercés par la caresse du vent.
Le temps calme revient et une douce brise nous pousse au quatrième jour, sous un soleil resplendissant. La rivière rétrécit, provoquant une accélération du courant, et son panorama se nivelle progressivement. Nous prenons une bonne heure pour dîner à l'entrée de la rivière Tarant, au creux d'une superbe baie et près de cascades rieuses. Plus nous approchons du lac Tchitogama, plus nous croisons de plaisanciers curieux de notre présence. À partir de la jetée des Six Milles et sur les 10 km qui suivent nous nous désolons d'apercevoir les traces d'une coupe forestière majeure pratiquée sur le flanc ouest de la rivière. Heureusement, vers le km 105, on a protégé un îlot de forêt ancienne où se trouve un géant qui serait le plus gros bouleau jaune répertorié au Québec. L'arbre est si gros que son centre vide abrite facilement trois adultes. On s'y rend en quelques minutes de marche.
Nous passons notre dernière soirée au creux de l'immense baie des Gardes où se trouve un très vaste plateau sablonneux fréquenté par les quadistes et les plaisanciers qui, selon la coutume locale, sillonnent la rivière en ponton et s'ancrent pour la nuit sur les plages. Le site est merveilleux, surtout des hauteurs où nous sommes juchés, mais, comme on peut s'y attendre, couvert de détritus par ses visiteurs les plus inconscients.
Au lever d'un soleil flamboyant, il ne nous reste plus que quelques heures de navigation avant de débarquer à destination. Nous ne raterons surtout pas la puissante chute de la rivière du Banc-de-Sable qui dévale des rochers sombres au fond d'une petite échancrure sur la rivière. Nous irons tous y mouiller la pointe de notre kayak avant de mettre le cap vers la Pointe d'Appel, à la jonction du lac Tchitogama et de la rivière, où nos voitures nous attendent sagement.
Je termine cette excursion avec la conviction que la rivière Péribonka deviendra rapidement l'une des destinations les plus convoitées des amateurs de kayak de mer, d'autant plus que l'on peut encore y voyager en toute liberté. Parions que cela ne durera pas indéfiniment.
Guide de navigationLe guide de navigation, intitulé Corridor nautique de la rivière Péribonka, est un outil indispensable à la navigation sur la rivière. En plus d'une foule d'informations, on y trouve toutes les cartes topo identifiant les lieux de camping et les attraits naturels.
On peut se le procurer au coût de 5 $ plus les frais d'envoi en communiquant avec Fabrice Tremblay au 1 418 481-2844.