Fleuve St-Laurent - échec des actions environnementales
François Cardinal (La Presse) - Soumis le 20 Février 2008
Le Canada et les États-Unis concluent à l'échec de leurs actions visant à améliorer la santé environnementale du Saint-Laurent et du bassin des Grands Lacs.
Un rapport accablant rédigé par sept ministères et organismes, dont le U.S. Army Corps of Engineers et Environnement Canada, révèle que malgré l'octroi de ressources «considérables» ces dernières années, «peu d'initiatives ont entraîné des changements sur le terrain».
Au contraire, l'élimination des déchets, les rejets pétroliers et les manoeuvres des navires, entre autres, ont des effets «considérables» sur ce riche écosystème, continuant d'assécher des milieux humides, de contaminer l'eau à des niveaux jugés «préoccupants» et de mettre en péril la vie des mammifères et des poissons.
Ironiquement, les écologistes contestent ces conclusions. L'organisme Nature Québec craint en effet que le tableau soit volontairement assombri par les auteurs afin de justifier un éventuel élargissement du fleuve Saint-Laurent dans le but d'accroître la circulation des navires.
Bien que le rapport final de l'«Étude des Grands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent» ne fasse aucune mention de telles visées, on précise que l'intention est de «moderniser» la voie fluviale pour «accommoder le doublement prévu du trafic de marchandises et de l'activité commerciale» au cours des 50 prochaines années.
Agressions
La vaste étude canado-américaine énumère une à une les agressions qu'a connues et que connaît encore aujourd'hui le fleuve. «Le passage régulier de navires marchands près du rivage a des effets à long terme sur les berges, les zones humides et les îles, ainsi que sur les espèces aquatiques», peut-on lire.
On reconnaît ainsi que le sillage des navires pose problème, malgré les initiatives des autorités. «Il subsiste de nombreuses zones où le sillage continue de produire de la turbidité, de l'érosion et des perturbations des habitats, plus particulièrement le long du fleuve Saint-Laurent en aval de Montréal.»
Plus graves encore sont les mauvais comportements de certains usagers de la voie maritime et de ses riverains. On estime que «des pratiques inappropriées d'élimination des déchets et le rejet accidentel de produits pétroliers ou d'eau de cale contribuent à détériorer la qualité de l'eau».
À ces agresseurs il faut ajouter, selon les auteurs, le déversement des résidus de cargaison sèche, l'élimination des eaux usées, le rejet de phosphore, la peinture anticorrosive et pleine de toxine que revêtent certains navires ainsi que le carburant de mauvaise qualité qui est parfois utilisé.
On précise en outre que les milieux humides, qui ont fait les frais de la création de la voie maritime en 1959, sont encore aujourd'hui menacés, même s'ils sont mieux protégés qu'à une autre époque. L'introduction d'espèces exotiques envahissantes, les changements de niveau d'eau et le souffle des hélices des embarcations sont autant d'agresseurs des milieux humides.
À ce propos, d'ailleurs, on ajoute que le passage des navires peut affecter directement des populations de poisson «en entraînant le poisson dans les hélices, en perturbant les poissons au repos, en provoquant des activités et des stress anormaux l'hiver lors du déglaçage, en délogeant des oeufs et des larves des frayères et des aires d'alevinage et en causant l'envasement des frayères».
On reconnaît en outre que des navires ont déplacé et heurté des mammifères marins, que le bruit et les vibrations ont des effets sur les oiseaux nicheurs, les mammifères marins, les mollusques et d'autres organismes lacustres.
35 agresseurs
Globalement, les auteurs du rapport ont identifié 35 agresseurs: 83% présentent une importance «de moyenne à élevée», tandis que 77% d'entre eux ont une «incidence qui n'est pas facile à neutraliser».
«Ces résultats suggèrent que la région est plutôt vulnérable aux agresseurs présents et que des rajustements mineurs de gestion ne produiraient probablement pas de gains appréciables de qualité de l'environnement», conclut-on.
Pour Nature Québec, c'est précisément un tel discours que l'on juge inacceptable. Dans un mémoire de 12 pages signé par Marc Hudon, consultant principal pour le Saint-Laurent, l'organisme exprime son «regret majeur» concernant «l'approche négative employée pour décrire l'état de l'écosystème actuel».
On reconnaît que l'étude ne vise pas «directement» l'expansion de la voie navigable, mais on estime que la manière utilisée pour décrire l'écosystème du Saint-Laurent «sous-entend que les torts irréparables antérieurs ont eu leurs effets».
«On semble dire que l'écosystème a été saccagé, qu'il ne reste plus rien et qu'il est donc possible d'aller de l'avant avec d'autres interventions, précise Christian Simard, directeur général. Oui, il y a des agressions, mais on est loin de l'écosystème mort dont il est question dans le rapport.»
POINTS SAILLANTS
• Le fleuve:
« 35 agresseurs;
« 29 ont une importance de moyenne à élevée;
« 27 ne sont pas faciles à neutraliser.
• Les 12 principaux agresseurs du fleuve:
« Introduction d'espèces exotiques envahissantes
« Prélèvement et détournement de l'eau
« Effluents industriels et municipaux
« Élimination des déchets
« Modification du chenal
« Aménagement d'infrastructures
« Émissions atmosphériques des navires
« Changements climatiques
« Altération ou renforcement des rivages
« Dépôt des matériaux de dragage
« Accidents, déversements
«Déglaçage.
Cette étude a été signée par sept ministères et organismes canadiens et américains: Transports Canada, le Department of Transportation des États-Unis, le U.S. Army Corps of Engineers, la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent du Canada, la Saint Lawrence Seaway Development Corporation des États-Unis, Environnement Canada et le U.S. Fish and Wildlife Service.
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