13 millions de personnes ont pris un bateau pour observer les baleines en 2008. Retombées touristiques: 2,1 milliards US.L'observation des cétacés a la cote. Il s'agit en fait d'un des secteurs touristiques les plus lucratifs à l'heure actuelle, en plus de constituer une véritable bouée de sauvetage pour plusieurs économies locales. Et dans ce domaine, le Québec a beaucoup à offrir. Pour les opposants à la reprise de la chasse commerciale, le succès de cette industrie est la preuve que les baleines ont plus de valeur vivantes que mortes.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes: en 2008, plus de 13 millions de personnes ont pris le bateau quelque part dans le monde pour aller observer des cétacés, soit quatre millions de personnes de plus qu'il y a
10 ans. Et les retombées touristiques de cette activité se sont élevées à plus de 2,1 milliards de dollars US, selon le rapport Observation des baleines dans le monde, publié le mois dernier par le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW).
Le document fait d'ailleurs état d'une «croissance fulgurante» de cette industrie en Asie, en Amérique du Sud, dans le Pacifique, dans les Caraïbes et en Europe. Une progression «qui dépasse largement les taux globaux de croissance du tourisme de la décennie écoulée». Plus de 3000 organisations d'observation des baleines emploient aujourd'hui environ 13 200 personnes dans 119 pays. Déjà, dans les années 1990, la croissance annuelle du secteur s'est maintenue autour de 12 %, soit trois à quatre fois la moyenne de l'ensemble de l'industrie touristique.
Ce sont les États-Unis qui possèdent la plus grosse industrie, avec des retombées économiques d'un milliard de dollars en 2008, un chiffre trois fois plus élevé qu'en 1998. À elle seule, la Nouvelle-Angleterre, en compétition directe avec le Québec, a profité de retombées de plus de 126 millions $ l'an dernier. Il faut dire qu'on y observe fréquemment la populaire baleine à bosse, l'espèce qu'on voit le plus souvent dans les images de sauts spectaculaires hors de l'eau. C'est aussi celle dont on voit systématiquement la nageoire caudale au moment où elle plonge.
Réussite québécoiseLe Québec n'est pas en reste pour autant. Près de 500 000 personnes embarquent chaque année sur un navire qui les amène à la rencontre de quelques-unes des 13 espèces de cétacés qui viennent se nourrir dans les eaux de l'estuaire du Saint-Laurent. De quoi contribuer à bâtir un moteur économique régional majeur et qui fait vivre hôtels, boutiques de souvenirs et restaurants. À l'échelle de la province, les différentes évaluations des retombées économiques provenant de ce secteur varient de 80 à 100 millions de dollars par année, dont le quart uniquement dans le secteur allant de Baie-Sainte-Catherine aux Escoumins. «Tadoussac, sans les baleines, ce serait un village fantôme», insiste d'ailleurs Édouard Hamel, président-fondateur de Croisières AML.
La dernière étude à avoir traité de cette industrie -- un document de la chaire de Tourisme de l'UQAM publié en 2003 et intitulé Plan intégré de développement et de promotion des croisières-excursions du Québec -- soulignait elle aussi que la fascination pour les cétacés joue un rôle important dans l'économie de plusieurs communautés côtières. Ainsi, dans les cas de Percé, de Gaspé et de Tadoussac, «la proportion de la clientèle [des gîtes et auberges] qui participe à une excursion lors de son séjour oscille entre 70 et 90 %». L'activité est effectivement populaire et se fait à partir de plusieurs ports du Bas-du-Fleuve, de la Gaspésie et du parc national de l'Archipel-de-Mingan. Dans ce secteur, on peut même participer à de véritables stages avec les chercheurs de la station de recherche des îles Mingan.
Mais s'il veut assurer la croissance de son industrie, le Québec doit attirer davantage la clientèle internationale, selon M. Hamel, qui est aussi président de l'Association des bateliers de Tadoussac. Ce marché demeure en effet globalement peu développé, particulièrement dans le Bas-Saint-Laurent. Qui plus est, le Québec doit affronter la concurrence d'autres pays dans le créneau de l'écotourisme.
Dans ce contexte, «il faut faire beaucoup d'efforts pour maintenir l'intérêt pour notre produit. Mais on comprend mal la stratégie du ministère du Tourisme, qui ne fait à peu près rien pour vendre le "produit baleines". Ce sont les entreprises et les associations touristiques régionales qui doivent tout faire. Pourtant, le Québec possède l'un des plus beaux sites d'observation au monde», affirme sans détour M. Hamel. Son entreprise investit donc plus d'un million de dollars par année en promotion, dont 250 000 $ pour le marché international.
Plusieurs pays découvrent en effet la manne qu'ils peuvent tirer de la présence des énormes mammifères marins qui passent près de leurs côtes lors de leurs longues migrations annuelles. Toutes les régions du monde connaissent d'ailleurs une progression de leur industrie. Au Mexique, où on peut voir la baleine bleue -- qui peut atteindre 25 à 30 mètres, pour un poids de plus de 100 tonnes --, le secteur a généré 85,5 millions de dollars en 2008, un montant deux fois plus important qu'à la fin des années 90. Au Brésil, en Argentine et en Équateur, on parle d'industries dont les retombées ont été multipliées par trois en une décennie. Le potentiel de certains pays africains et asiatiques se développe lui aussi très rapidement, selon les données comptabilisées par l'IFAW.
De quoi représenter un «puissant incitatif à la reconnaissance du fait que les baleines valent beaucoup plus vivantes que mortes», concluent les auteurs du document. D'autant plus que pour plusieurs communautés vivant en étroite relation avec l'océan depuis des siècles, amener des touristes voir ces géants peut remplacer des pêcheries de plus en plus moribondes, en raison de l'effondrement des stocks de poissons partout dans le monde.
Argument anti-chasseLe rapport de l'IFAW a d'ailleurs été présenté en juin dernier aux diverses délégations gouvernementales réunies lors de la rencontre de la Commission baleinière internationale (CBI), l'organisation chargée de gérer toutes les questions relatives aux populations de cétacés du globe. Une façon de contrecarrer les visées du Japon, de l'Islande, de la Norvège et de certains de leurs alliés, qui mènent depuis plusieurs années une lutte acharnée pour la reprise de la chasse commerciale. Tous trois tuent déjà des baleines, le Japon prétendant le faire pour des raisons «scientifiques».
Le camp des anti-chasse, mené par l'Australie -- dont l'industrie du whale watching génère des retombées de 172 millions de dollars par année --, a donc insisté sur les conclusions du rapport auprès des autres délégations. «Alors que l'économie mondiale, les grands cétacés et les efforts internationaux de conservation des baleines sont menacés, il est encourageant de constater que des communautés côtières en Australie, dans la région Asie-Pacifique et dans le reste du monde tirent des bénéfices importants de la croissance dynamique de cette forme d'écotourisme, a ainsi plaidé son ministre de l'Environnement, Peter Garrett. Une pratique responsable de l'observation des baleines est la plus durable, la plus respectueuse de l'environnement et la plus rentable des formes d'"exploitation" des baleines au 21e siècle.»
«Pendant que les délégations gouvernementales réunies ici débattent la question de ce qu'il faut faire des baleines, leurs citoyens montrent la voie», a souligné pour sa part Patrick Ramage, directeur du programme sur les baleines d'IFAW, en présentant le rapport. «En 2009, nous devrions préserver les baleines et nous contenter de rafales de photographies plutôt que de remettre en cause les mesures de conservation ou d'envisager la chasse commerciale.»
Seule ombre au tableau, la réglementation encadrant l'approche des animaux reste bien souvent à mettre en place. Une personne travaillant dans l'industrie de l'observation des baleines a notamment confié au Devoir qu'au Pérou, elle vu des embarcations pratiquement chevaucher une baleine. «On peut toucher les baleines, on les poursuit, l'essence coule... C'est pas beau à voir, et ça n'a rien à voir avec ce qui se passe dans le Saint-Laurent.» Il suffit bien souvent d'un pourboire pour que le capitaine accepte de «coller» l'animal.
Au large de Portland, dans les eaux du golfe du Maine, Le Devoir a aussi pu observer à certaines occasions des bateaux suivant les animaux à moins de 20 mètres. Comme quoi un cadre légal plus strict serait à définir dans plusieurs pays, même aux États-Unis. La CBI a abordé la question lors de sa dernière réunion, sans toutefois fixer quelque échéance que ce soit.