Au cours des sept dernière années, le nombre d'adeptes de sports nautique n'a cessé d'augmenter, selon l'Association maritime du Québec. Si bien qu'aujourd'hui, le nombre d'embarcations de plaisance atteint près de 850 000 dans la province.Co-propriétaire de la marina Le Nautique de Saint-Jean-sur-Richelieu depuis 2000, Pierre Sénéchal affirme que les bateaux à moteur sont de plus en plus visibles sur les cours d'eau de la province. «On voit beaucoup plus de bateaux à moteur pour les sports nautiques, comme le wakeboard. La demande pour des places à quai est plus forte que jamais», dit-il.
La voile gagne aussi en popularité. Si bien que sur les cours d'eau, deux cultures cohabitent.
«Le voilier et le bateau à moteur: ce sont deux mondes. Les gens qui choisissent l'une ou l'autre de ces options ne sont pas les mêmes. Ils ont des tempéraments différents. Certains veulent aller lentement alors que les autres veulent aller vite», compare Ginette McDuff, directrice générale de Sogerive, organisme paramunicipal qui gère le port de plaisance Réal-Bouvier à Longueuil.
Si la cohabitation entre embarcations à voile et à moteur se déroule généralement bien, il y a parfois de petits accrochages. «La fin de semaine, il y a beaucoup de bateaux à moteur. Certains ne nous voient pas et nous font beaucoup de vagues. Dans ces conditions, c'est dur pour nous de naviguer», affirme le directeur de l'École de voile de Lachine, Marc Doyon.
Nathalie Matthon, de la Fédération de voile du Québec, assure que les accrochages entre voiliers et bateaux à moteur sont rares. Mais elle reconnaît que si les gens s'informaient un peu plus sur les réalités de leurs vis-à-vis, ils seraient plus attentifs aux effets de leur conduite sur les autres. «Un bateau à moteur qui fait de la vague à un voilier, c'est dérangeant, illustre-t-elle. Un voilier qui arrête dans un chenal à paquebot, ça ne se fait pas... Les gens doivent le savoir pour ne pas le faire. Tout passe par l'éducation.»
Des riverains excédésAu lac Bowker, dans les Cantons-de-l'Est, la présence de plus en plus marquée de bateaux à moteur entraîne son lot de querelles entre voisins.
Selon Yvan Leclerc, qui habite au lac Bowker depuis plus de 50 ans, les bateaux à moteur sont toujours plus nombreux et gros. «Les nouveaux bateaux de planche nautique (wakeboard) font des vagues très hautes qui érodent nos berges et causent beaucoup de dommages», dit M. Leclerc.
«Acheter un chalet au bord de l'eau est maintenant dispendieux. Ceux qui en ont les moyens ont souvent l'argent pour avoir un gros bateau. Mais notre lac reste petit et l'impact de ces bateaux sur les berges, sur la qualité de l'eau et sur la sécurité est majeur», ajoute Diane Bélanger, qui habite au lac Bowker depuis 1974.
Au Québec, 38 lacs sont totalement interdits aux embarcations à moteur. Plus de 300 autres ont des limitations de circulation diverses. Par exemple, certains cours d'eau ne permettent pas le ski et la planche nautiques. D'autres interdisent les bateaux sur une partie seulement de leur territoire. Seulement huit lacs sont frappés d'une interdiction totale de naviguer par Transports Canada.
Selon Mme Bélanger, interdire les bateaux à moteur sur un lac n'est pas simple. Car Transports Canada a le dernier mot. «Le municipal et le provincial ne peuvent rien faire pour limiter les bateaux, dénonce la riveraine. Et le fédéral n'est pas du tout sensible aux préoccupations locales.»
«Le fédéral protège le droit à la navigation, ajoute M. Leclerc. Il ne se préoccupe pas du tout de l'environnement.»
Durant un après-midi, La Presse a sillonné le lac Bowker et a remarqué que la majorité des riverains possèdent un bateau à moteur.
«La fin de semaine, ils font du ski et du tube nautiques. Les gens peuvent tourner en rond éternellement, remarque M. Leclerc. Il y a des vagues constamment. On puise notre eau de consommation dans le lac. L'été, à cause des remous, je dois changer mon filtre constamment.»
Parcours de ski nautiqueCet hiver, la tension entre amateurs de bateaux à moteur et riverains a atteint des sommets au lac Bowker quand un citoyen a voulu y installer un parcours de ski nautique. «Il avait obtenu l'accord de Transports Canada. Il ne manquait plus qu'une publication officielle et le parcours pouvait être construit. On s'y est opposés et le projet a échoué. Mais c'est choquant de voir que Transports Canada protège plus facilement le droit à la navigation que les lacs», affirme Mme Bélanger.
L'instigateur du projet, Raphaël Trottier, est encore un peu troublé d'avoir dû abandonner son projet. «Il y a un groupe minoritaire anti-bateaux qui veut interdire les bateaux à moteur ici. Mais la majorité des riverains souhaitent plutôt faire une utilisation civilisée du bateau», dit M. Trottier, qui habite au lac Bowker depuis huit ans.
Pour respecter les riverains, les plaisanciers acceptent entre autres de ne pas circuler à haute vitesse dans une bande de 75 m tout au long des rives. «Depuis longtemps, on essaie de cohabiter dans la paix et de respecter les riverains», assure M. Trottier, qui déplore que les bateaux à moteur aient si mauvaise presse.
«Les gens utilisent la vieille image du bateau qui pollue et s'en servent pour entretenir les préjugés envers les embarcations à moteur. Ce n'est plus ça, le nautisme. Et il ne faut pas oublier que dans un été, si j'utilise mon bateau 50 heures en tout, c'est beaucoup», dit-il.
M. Trottier tient aussi à faire la nuance entre les bateaux de ski nautique, qui ne font pas de vagues, et ceux de planche nautique, «qui sont construits pour faire de la vague». «On a tout mélangé dans le dossier de parcours de ski nautique, martèle-t-il. On a eu peur de vagues qui n'existent pas.»
Pour le président du Conseil québécois du nautisme, Vahé Vassilian, il est vrai que la pression populaire favorise rarement les conducteurs de bateaux à moteur. «Les reproches leurs tombent souvent dessus. Mais ce qu'il faut retenir, c'est que l'eau est à partager avec tout le monde, avec courtoisie.»